Moulin du Gros-Sault
Le moulin du Gros-Sault de Robert Prévost
Un de mes bon souvenirs d’été fut de serpenter les rives de la rivière des Prairies en vélo. C’est de cette façon que j’ai pris connaissance d’un lieu magnifique pour flâner. Certaines personnes connaissent cet endroit sous le nom de « l’île aux fesses »! Il s’agit de l’île Perry à côté du pont de Bordeaux. C’est en ce lieu que j’ai découvert l’histoire du feu moulin du Gros-Sault grâce à la belle plume de l’historien Robert Prévost. J’espère que les rayons de soleil qui m’ont accompagné dans cette lecture vous réchaufferont. Voici un bref survol historique du moulin du Gros-Sault.
Construit en 1798, il était situé près de l’ancienne gare de Bordeaux du Canadien Pacifique, celle qui permettait l’aller de Montréal à Québec. Avant de traverser la rivière des Prairies, le train filait grâce à un pont qui s’appuyait sur une petite île : l’île Perry.
Pourquoi l’appellation « Gros-Sault » ? De son emplacement débutait une série de rapides qui s’étendaient jusqu’à l’Est de l’île de la Visitation. Les rapides étaient si puissants et si bruyants que certains voyageurs qui dormaient à l’hôtel Bordeaux n’arrivaient pas à trouver le sommeil. Mais depuis 1928, le torrent s’est tu en raison de la construction de la centrale hydroélectrique et n’est plus qu’une tranquille nappe d’eau.
La terre où allait être bâti le moulin avait été concédée à Louise de Couagne en 1728. Qui devait entretenir un chemin en devanture et le maintenir praticable. Puis faire moudre son grain aux moulins des seigneurs et non ailleurs. Bref des obligations communes à tous les censitaires. Dans ce cas, une clause fut ajoutée, on jugeait l’endroit propice pour y bâtir éventuellement un moulin. Cette terre donnait accès à une baie au courant suffisant pour faire fonctionner un moulin.
À la fin du 18e siècle, la population augmentant, le besoin d’autres moulins devenait nécessaire. En 1797, les sulpiciens reprennent la terre de Louise de Couagne qui appartenait alors à Louis Beaulieu et Joseph Picard. Les sulpiciens n’ont repris qu’une partie de la terre pour y ériger une route menant au moulin qui sera bâti. Les sulpiciens ont dédommagé le sieur Beaulieu qui eut à démolir et à déménager. Tandis que Picard ne reçu rien puisqu’il n’avait rien de défricher sur son lot.
Un contrat fut fait entre les sulpiciens et Joseph Barbeau, farinier et entrepreneur de Lachine, lui confiant la construction du futur moulin. Puis, on lui baillait le moulin pour 9 ans à partir du premier jour que le moulin fera farine. Barbeau s’engage à réparer et à maintenir en bon état le moulin, les bâtiments adjacents, le canal, etc. La première année, l’entretien sera aux frais du séminaire. Puis, il remettra au séminaire le deux tiers des droits de mouture. Les sulpiciens engagèrent pour le seconder au travail le maître entrepreneur Bazile Proulx. Pour creuser le canal qui mènera l’eau au moulin, le séminaire engagea Louis Gauthier maître entrepreneur de la paroisse de Saint-Laurent.
Depuis son entré en fonction en 1801, le moulin du Gros-Sault fit perdre la place très importante qu’occupaient les moulins du Sault-au-Récollet.
Le bail fait entre le séminaire et Joseph Barbeau ne put être renouvelé en raison de son décès. Donc en 1826, Paschal Persillier Lachapelle fut le nouveau locataire et meunier du moulin du Gros-Sault. Il est le bâtisseur du pont à Cartierville qui porte son nom menant de Montréal (Cartierville) à l’Abord-à-Plouffe sur l’île Jésus (Laval). L’inauguration du pont eu lieu le 21 juillet 1836.
Avant la construction de son pont, en plus d’être locataire du moulin du Gros-Sault, Lachapelle possédait une traverse desservant l’Abord-à-Plouffe. Étant un entrepreneur averti, il fit imprimer en 1830 chez l’imprimeur Ludger Duvernay une circulaire invitant les habitants de l’île Jésus à utiliser sa traverse pour leur blé à son moulin pour un prix modique. La manœuvre déplut à ses rivaux, dont le meunier Lambert Dumont de Saint-Eustache. Dumont jugeant le prix de Lachapelle si bas (7 sols) que ceci représentait une concurrence déloyale et qu’il devait moudre pour presque rien. Les sulpiciens prendront la défense de Lachapelle, accusant Dumont d’avoir commencé cette guerre de bas prix. Tout en faisant savoir aux habitants de l’île Jésus qu’ils pouvaient aller faire moudre leur blé chez eux. Devant les manœuvres de Dumont plusieurs meuniers de l’île Jésus ont dû être réduit à faire moudre le blé de leurs censitaires gratuitement!
Le moulin du Gros-Sault fut vendu le 19 juillet 1837 à Charles Perry. Le contrat de vente fait la mention qu’on y retrouvait sur l’île un moulin à farine, un moulin à carder et fouler et autres bâtiments. Advenant que l’acheteur veuille se défaire de sa propriété ou qu’il décède, les sulpiciens se gardent le droit de rachat au prix payé par Perry. L’acheteur devra poursuivre à moudre le grain des habitants et garder son moulin en bon état. Charles Perry trépassa peu longtemps après en janvier 1845. Le fils, Georges-Lafayette Perry administra pour sa mère le moulin du Gros-Sault.
En 1861, les propriétés se retrouvant dans Bordeaux allaient être répertoriées selon le cadastre et le bureau d’enregistrement suite à l’abolition de la tenure seigneuriale.
Sous l’administration de Georges-Lafayette Perry, le moulin du Gros-Sault connu des jours prospères et heureux. En 1867, le moulin avait besoin de réparation, Perry fils hypothéqua sa propriété. Croyant pouvoir doublez le rendement du moulin. Un prêt lui fit accorder par la compagnie de Prêt et de Dépôt du Bas-Canada. La somme de 4000$ lui fut consentie graduellement à mesure que les travaux prévus étaient accomplis.
Ainsi, le moulin fut amélioré sensiblement. Voilà, pourquoi il est peu compréhensible, que Perry le loua le 1er janvier 1873 à Narcisse-Antoine Lajeunesse. Il est possible que l’épicerie qu’il possédait en ville lui demande trop ? La location se fit à certaines conditions : Lajeunesse devait y tenir lieu, entretenir le moulin et autres bâtiments et s’acquitter des taxes scolaires et municipales.
En 1876, Perry fils ne put s’acquitter de ses obligations financières. La propriété fut saisie et mise aux enchères. Puis reprise par la compagnie de Prêt et de Dépôt du Bas-Canada.
Lajeunesse qui avait loué le moulin, le sous-loua à Jérôme Théorêt. Mais ce dernier s’avéra à son tour insolvable en 1879. La compagnie le remettra à Lajeunesse… qui se déclara insolvable la même journée! La compagnie de Prêt et de Dépôt du Bas-Canada le loua à Alexis Brunet. Sans documents officiels à l’appui, il semble que Brunet aurait été meunier de 1879 à 1882. Pendant ce laps, une étude sur le niveau de l’eau fût effectuée : les roues à aubes recevaient une charge d’eau de cinq pieds de hauteur. Ce qui représente une force considérablement puissante.
Ensuite, le bail fut accordé en 1882 à Julien-Philias Prévost pour trois ans. Avec son frère Jean-Baptiste, ils allaient être les nouveaux administrateurs du moulin. Philias était natif du Sault-au-Récollet, il est fort probable qu’il connaissait ce moulin et la qualité de la mouture qui y était produit. En 1885, le bail fut renouvelé pour trois ans aux deux frères Prévost. À ce bail, il y avait également une promesse de vente. Le 23 juin 1890, Philias céda à son frère Jean-Baptiste sa part tout en conservant la promesse de vente.
À cette époque, plusieurs hommes d’affaires songeaient à lancer une grande entreprise consistant à créer un bassin d’eau capable d’approvisionner plusieurs municipalités de l’île de Montréal. On considérait le lieu près du pont de Bordeaux pour y acheter l’île Perry et le moulin du Gros-Sault. Ayant eu vent de l’affaire, Jean-Baptiste Prévost sentit une bonne affaire. L’opportunité s’avéra alléchante à condition que Prévost s’acquitte de ses obligations financières. Dans une manœuvre financière, il vendit sa propriété à un agent d’immeubles (Thomas J. Drummond). Curieusement, le prix n’apparaît pas au contrat, mise à part la mention « good and valuable consideration ». L’année suivante Drummond vend la propriété à « Dominion Construction Company Limited » et toujours avec la mention : « good and valuable consideration »! Trois jours plus tard, c’est la « Montreal Water and Power Company » qui en fit l’acquisition… sans mention de prix, à l’exception : « good and valuable consideration ». Toutes ses transactions ont eu lieu devant le notaire John Fair… une connaissance de monsieur Prévost! Semble-t-il que le montant de la transaction fut de 80 000$. Alors que Jean-Baptiste Prévost en avait fait l’acquisition pour 16 000$.
Voilà, c’est en 1892 que la démolition du moulin du Gros-Sault débuta. Si solidement construits, des partis du moulin avaient résisté aux pics des démolisseurs. On eu recours à la poudre. Le canal qui menait l’eau au moulin fut agrandi à une largeur de 100 pieds. Les galets retirés de cette excavation servirent à rehausser la hauteur de l’île. Des témoignages révèlent que des rails furent installés pour des wagons à traction animale transportant d’énormes blocs de pierre et de la terre. Quelques-uns de ses wagons entraînés par leur poids passèrent tout droit et s’engloutirent dans la rivière! Après avoir enfoui près d’un quart de million de dollars la « Montreal Water and Power Company » vu ses affaires tirées de la patte et mis fin à son projet en 1893. Le massacre du lieu était complet et vain.
Bibliographie et iconographie :
« Le moulin du Gros-Sault »; de Robert Prévost