Le Montréal Juif
(École Peretz)
On retrouve deux grandes branches au sein du judaïsme : les Séfarades et les Ashkénazes. Les séfarades se sont implantés en Espagne et au Portugal. Ils y seront expulsés respectivement en 1492 et 1496. « Séfarade » signifie en hébreu « Espagne ». Ils s’établiront par la suite en Afrique du Nord, France, Angleterre et aux Pays-Bas. Ils parlent le ladino ou judéo-espagnol.
Les ashkénazes sont de la région du Rhin. Leur langue est un mélange d’allemand, d’hébreu et de slave : le yiddish. Ils parlent le yiddish et l’hébreu, ils sont polyglottes. Le yiddish apparaît vers l’an 1000 et sera pendant longtemps une langue vernaculaire, populaire et non codifiée : la langue des masses. À travers les migrations à travers les capitales européennes, ils entrent en contact avec de nouvelles idées : les idéaux de la Révolution française, la science, la raison, l’éducation à l’occidentale (sécularisme)… À la fin du 18e et au début du 19e siècle, une révolution culturelle yiddish débute.
L’hébreu est la langue dans laquelle sont écrits le Talmud et la Torah. C’est la langue sacrée et des érudits et le yiddish est celle du ghetto.
(Moses Mendelssohn)
Cette révolution culturelle yiddish ou « Haskala » (lumières juives) est incarnée par le philosophe Moses Mendelssohn (1729 – 1786). On considère le yiddish la langue pour atteindre les masses. On ouvre des écoles séculières. C’est la naissance d’une culture yiddish qui se propagera à travers l’Europe. Cette culture porte des idéaux progressistes et lutte contre l’assimilation.
Au 18e siècle au Québec à l’époque de la Nouvelle-France, on ne note aucune présence juive dans cette colonie qui se veut à tout prix catholique. Cependant, on croit qu’il y a eu une présence juive, mais ils dissimulaient leur pratique du judaïsme. Il y a tout de même une anecdote : l’arrivée en 1738 d’Esther Blandeau. Elle se fait passer pour un homme (Jacques La Fargue). Elle est débusquée et renvoyée en France.
Après la Conquête britannique en 1760, c’est l’arrivée des premiers juifs. Ils sont souvent marchands. En 1768, une première congrégation est fondée : « Shearit Israel » ou « Spanish Portugese ». Ils sont rattachés à la synagogue Bevis Marks de Londres fondée en 1701 de rite séfarade.
(Synagogue Bevis Marks à Londres)
Une première synagogue est construite à Montréal en 1777 : la Shearit Israel. On l’a remplacé par une nouvelle en 1838 sur la rue Chenneville dans l’actuel quartier Chinois – Google Maps
(Synagogue Shearit Israel – Disparue)
(Notables de la communauté Shearit Israel)
En 1807, à Trois-Rivières Ezekiel Hart remporte une élection partielle, mais est empêché de siégé puisqu’il ne peut jurer sur la bible. Aux élections de 1808, il remporte à nouveau son comté. L’affaire remonte jusqu’à Londres où on lui refuse de siéger en raison de sa confession.
1831 – On compte 107 juifs au Québec, dont 85 à Montréal.
1832 – Louis-Joseph Papineau supporte une résolution qui fut acceptée où l’on reconnaissait aux juifs le droit de vote, de se présenter et de siéger.
1846 – La congrégation Shearit Israel se désigne un rabbin en permanence : Abraham de Sola de Londres.
1846 – Création de la congrégation Shaar Hashomayim – Rite ashkénaze
1851 – 451 juifs au Canada dont 181 à Montréal
1871 – 409 juifs à Montréal
1881 – 814 juifs à Montréal
1891 – 2500 juifs à Montréal
1901 – 7000 juifs à Montréal
1911 – 28000 juifs à Montréal
1870 à 1880 – Arrivée des premières vagues d’immigrants juifs russes
1881 – Assassinat du Tsar Alexandre II – Il s’en suit une sévère répression envers les juifs.
(Alexandre II)
1882 – Création d’une troisième congrégation : Emanu-El. Elle est de tendance réformiste, libérale, progressiste et dont l’épicentre est New York
À la fin du 19e et au début 20e siècle, le transport maritime et ferroviaire rendent l’Amérique dont Montréal plus accessibles.
1911 – On compte 2,3 millions de juifs à New York
Les pogroms envers la population juive en Russie sont fréquents et virulents. Ce qui incite plusieurs à partir.
(Pogroms dans l’empire russe)
Les juifs dans l’Empire russe
1860 – 1890 – Naissance d’une presse, théâtre, bibliothèque yiddish…qui seront éventuellement tous interdits par le Tsar.
Les juifs sont interdits de posséder des terres agricoles. Ils vivent dans les « Shtetl » qui sont des enclaves juives et qui sont entre le milieu rural et la ville où on y retrouve des ouvriers et des artisans.
1905 – La première « Révolution russe » où le Tsar accorde la création de Doumas (parlements) qui permet l’apparition de partis politiques et s’en suivent des syndicats, presses, maisons d’édition… Les juifs seront attirés par ces idées libérales, de justice sociale, de dignité humaine… On espère la fin de la persécution et de la pauvreté.
1906 – Reprise de la répression provoquant le départ d’un million de juifs vers l’Amérique dont 25 000 au Québec entre 1905 et 1914.
Ils transportent avec eux leurs idées politiques dans le Nouveau Monde. Deux organisations se distinguent : Le « Bund » et le « Poale Zion ». Et les bibliothèques joueront comme dans l’Empire russe au moment où elles étaient permises le rôle de diffusion d’idées.
Ces immigrants juifs sont lettrés. Ils savent lire et sont polyglottes.
Les juifs ashkénazes de l’Empire russe sont issus d’une éducation séculière. Ils sont bien différents de ceux déjà établis à Montréal de rite séfarade qui ont acceptés les valeurs et la culture britannique. Ils seront les « downtowners » et ceux déjà établis ici les « uptowners ».
Les ashkénazes ou « downtowners » ouvriront des boutiques et commerces qui demandent peu de capital. Plusieurs travailleront dans la conception et la production de biens de consommation. Vers 1905, on les retrouve près du secteur à l’angle de René-Lévesque et Saint-Urbain. À peine 10 ans après, ils seront au nord de la rue Sherbrooke. Cette vague d’immigrants ashkénazes c’est aussi l’arrivée d’auteurs et d’un lectorat yiddishophones. Les « uptowners » se trouvent entre les rues Sherbrooke et Prince-Arthur.
Ancien parc Dufferin à l’angle de René-Lévesque (Dorchester) et Saint-Urbain. En 1905, on retrouve un premier centre juif : écoles et synagogues. Il n’y reste que des logements modestes du Chinatown.
Les « uptowners » emploient les « downtowners » dans des manufactures de confections de vêtements. Ces manufactures s’installent près du boulevard Saint-Laurent. Ces bâtiments meublent toujours la paysage de cette artère.
Édifice Vineberg – 4040 Saint-Laurent – Construit en 1912
Édifice Balfour – 3575 Saint-Laurent – Construit en 1929
Édifice Cooper – 3981 Saint-Laurent – Construit en 1932
Ubisoft et ancienne manufacture Peck – 5505 Saint-Laurent – Construit en 1904
Les juifs qui ouvrent des petits commerces et ceux qui iront travailler dans les manufactures dont les propriétaires sont des « uptowners » pourront concilier travail et pratique religieuse (Shabbat).
Le yiddish s’impose sur le boulevard Saint-Laurent. En 1907, un premier journal yiddish naît à Montréal : Keneder Odler (Aigle Canadien) qui sera dirigé par Hirsh Wolofsky. La communauté pourra s’informer sur son nouveau pays et suivre ce qui se passe dans son ancien pays.
Cette immigration apporte aussi des courants politiques nouveaux :
Le « BUND » est : non sioniste et la nation juive est diasporique, socialiste, participe aux luttes ouvrières de la société d’accueil tout en conservant son organisation autonome.
Le « Poale Zion » est : sioniste et socialiste. Bref, en faveur d’une nation juive laïc et socialiste.
Les activistes du Poale Zion ouvrent une école en 1913 : l’École Radicale aussi nommée École Peretz. Ses valeurs sont révolutionnaires, laïques et sionistes. Une polémique survient rapidement : la langue d’enseignement sera l’hébreu ou le yiddish. Un schisme en 1914, les tenants de l’hébreu forment leur propre école : l’École Juive Populaire.
La Bibliothèque publique juive ou la « Yidishe Folks Biblyotek » ouvre en 1914 à l’angle de Sherbrooke et Saint-Urbain. Elle déménage par la suite successivement au 4099 et au 4499 l’Esplanade. On compte à son ouverture 449 livres dont 321 en yiddish, 82 en russe, 29 en hébreu et 17 en anglais.
4099 Esplanade à gauche et le 4499 Esplanade à droite
Érigé en 1893, le Monument National situé au 1182 boulevard Saint-Laurent par l’association Saint-Jean-Baptiste pour la diffusion de la culture et l’éducation populaire canadienne-française. On allie deux vocations : communautaire et commerciale. Les espaces seront loués dont à la communauté yiddishophone.
Première représentation en yiddish en 1897. Le Monument National devient la scène préférée de la communauté yiddish jusqu’aux années 1950. Les plus grands de la culture yiddish outre frontières y jouent. Une pièce francophone populaire pouvait en une soirée produire des recettes de 200$. Une pièce populaire en yiddish pouvait rapporter 27 000$! Le théâtre yiddish répond à un besoin dans la communauté. Il n’y a pas comme chez les canadiens-français la présence envahissante du clergé. Il y a une très grande liberté artistique.
L’emplacement du Monument National est à proximité de la communauté.
Une troupe d’artistes devant le Monument National
La diaspora juive dont celle à Montréal est fascinée par la Révolution russe de 1917 et l’avènement des bolchéviques au pouvoir. Les interdictions et les lois antisémites sont levées en Russie. Un des leaders de la révolution est juif : Léon Trotsky. Une vie juive reprend : réouverture en Russie d’écoles, librairies, théâtres, presses, maisons d’édition, groupes communautaires… Dont les bibliothèques qui jouent un rôle dans la diffusion des idées et de la culture. Grâce aux écoles, les locateurs apprennent à lire, épeler, à lire… Les sympathies pour l’URSS sont spontanées. Les grands lieux de la culture yiddish aux débuts des années 1920 sont en URSS puis à Varsovie et à New York.
Suite à la Révolution de 1917, la Russie bascule dans la guerre civile. Le nouveau pouvoir (les rouges) est contesté et combattu par les « blancs » (tsaristes, nationalistes ou tout simplement opposés aux bolchéviques comme plusieurs paysans) qui ont des positions antisémites.
Affiche antisémite des nationalistes blancs
Malgré les différends entre « downtowners » et « uptowners » en 1919 le Congrès Juif Canadien est fondé. On trouve à sa direction un « downtowner » en H.M. Caiserman et un « uptowner » en Samuel Bronfman.
H.M. Caiserman (à gauche) et Samuel Bronfman (à droite au centre de la photo)
Après la Première Guerre Mondiale, la communauté s’établie au nord de la rue Sherbrooke jusqu’à la rue Bernard entre le boulevard Saint-Laurent et l’avenue du Parc. Ils s’établissent dans le quartier Saint-Louis (Plateau Mont-Royal dont le Mile-End). Ils y apprécient les espaces, les rues, le Mont-Royal qui leur rappelle les collines à Jérusalem, le Fletcher Field (parc Jeanne-Mance)… Ils ouvrent des commerces comme des boucheries cachère, des synagogues, YMHA (Young men hebrew associtation)…
265 Mont-Royal ouest – YMHA – Ouvert en 1912
Le YMHA devient un pavillon de l’Université de Montréal
Fletchers Field maintenant le parc Jeanne-Mance
Pendant ce temps en URSS, Staline crée une région autonome juive en 1928 isolée en Sibérie : Le Birobidjan.
Reportage sur le Birobidjan : https://www.youtube.com/watch?v=yqCYj5C91Z8
En 1919, le ministre des affaires étrangères (Arthur Balfour) de la Grande-Bretagne se dit favorable à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. C’est ce qu’on appelle la « Déclaration Balfour ». Ce qui mettra le feu aux poudres pour longtemps!
L’entre-deux guerres est l’âge d’or de la culture yiddish à Montréal. Elle y est la troisième langue parlée! Certains surnommaient Montréal : « Petit Jérusalem d’Amérique ». Il n’y avait qie New York et Buenos Aires qui surpassent Montréal en vivacité culturelle yiddish en Amérique. Tous y viennent : artistes, intellectuels, écrivains, journalistes, poètes, activistes…
Grâce à l’éducation, ils investissent des nouveaux champs d’activités, dont des emplois libéraux : notaire, avocat, docteur, affaires, immobilier… Cette nouvelle mobilité sociale dérange. L’Université McGill instaure des quotas sur le nombre d’étudiants juifs. Des manifestations sont organisées à l’Université de Montréal contre la présence d’étudiants juifs. Cependant, ils ne vivent pas des quartiers « ghettos » car ils cohabitent avec des canadiens-français. Un rendez-vous manqué ?
Au début du 20e siècle, on compte environ 60 synagogues sur le Plateau Mont-Royal qui sont souvent aménagé dans des espaces reconvertis : commerces, résidences, ancienne église… Le terme « synagogue » signifie « maison d’assemblée ». C’est un lieu de prières, mais aussi de réunion pour la communauté. Dans une même synagogue, on peut retrouver des laïcs et des pieux. Les synagogues ne sont pas assujetties à une administration centrale comme chez les chrétiens. Il s’agit d’un lieu important pour les immigrants afin de socialiser et de trouver de l’entraide. Il existe aussi les maisons de prières : « Shtiblekh ». Les synagogues suivent les flots d’immigrations et elles sont fréquentées par une communauté puis autre quelques années après.
Édifice à logements – Ancienne synagogue Beth Yehuda – 214 Duluth Est - Construite en 1923
Église de la communauté portugaise et ancienne synagogue Khevra Shas – 4170 Saint-Urbain – Construite en 1920
Actuel Collège Français et ancienne synagogue B’nai Jacob – 172 Fairmount ouest – Construite en 1921
La synagogue B’Nai Jacob tel qu’imaginé en 1919
Le Théâtre « Quat’Sous » est une ancienne synagogue – 100 avenue des Pins
Ancienne synagogue Beth Shlomo – Angle Bagg et Clark
Pendant que la communauté juive s’installe, l’antisémitisme au Québec monte. L’antisémitisme provient d’une élite conservatrice et ultramontaine. En 1919, le cardinal Bégin de Québec dit : « Les enfants catholiques ne doivent pas côtoyer d’enfants juifs ». En 1937, Le cardinal Villeneuve dit : « Les athées, les juifs et les apostats doivent être absolument bannis de nos écoles ». Le Devoir et son fondateur Henri Bourassa fait craindre la perte de poids démographique des canadiens-français catholiques. Bref, il agite l’épouvantail du nativisme. C’est la période où se fait connaître le fasciste canadien et virulent antisémite Adrien Arcand. Suite à la crise économique de 1929, le gouvernement canadien arrête drastiquement l’entrée d’immigrants. Et les juifs sont considérés trop urbains alors qu’on désire des agriculteurs pour développer les prairies canadiennes.
Malgré tout, la communauté juive prend sa place dans la vie politique! En 1912, un premier élu municipal : Abraham Blumenthal.
Joseph Schubert lui succède en 1924
Schubert fait construire un bain public en 1932 : le bain Schubert – 3950 Saint-Laurent
Samuel-William Jacobs est le premier élu au fédéral en 1916
Premier élu au provincial en 1916 : Peter Bercovitch.
On peut décrire le fait qu’ils habitent les mêmes quartiers, immigrants juifs et canadiens-français vivent comme deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais. Un rendez-vous manqué. Cependant, il y a quelques exceptions : les canadiens-français ne pouvaient pas obtenir de crédit dans les boutiques du centre-ville tenues par des anglos-protestants mais ils en trouvaient chez les commerçants juifs de la rue Saint-Laurent.
L’épicerie d’Ida Steinberg sur Saint-Laurent. Les québécois ont fait leur épicerie chez Steinberg de 1911 à 1992! Ou comme on disait : « Faire son Steinberg ».
Schwartz’s depuis 1928!
Moishes depuis 1938
Monuments funéraires Berson depuis 1922
Mercerie Schreter depuis 1920
Éducation
École Beth Jacob – 5201 rue Waverly
En 1867-1869 – Création au Canada des commissions scolaires catholiques et protestantes
1870 – Les non chrétiens choisiront et la plupart choisissent la langue de la mobilité sociale et économique : l’anglais.
Les deux premières synagogues (Shearit Israel et Shaar Hoshoayim) aménagent des écoles dans leur sous-sol. Les deux partagent les valeurs et la culture britannique.
1903 – Le gouvernement provincial du Québec exclut les non catholiques du réseau francophone et catholique.
Au sein du réseau protestant et anglophone, la communauté demande plus de représentativité (commissaires et professeurs). En 1913, on engage des professeurs de confession judaïque.
Le nombre d’enfants juifs dans le réseau protestant à travers le temps : En 1892, on compte 344 élèves. 1775 élèves en 1912. Puis 13954 élèves en 1922! Et ils sont envoyés dans les écoles les plus défavorisées.
Les « uptowners » souhaitent « l’assimilationnisme » et les « downtowners » désirent leur propre réseau d’écoles…comme les catholiques et les protestants.
Réforme scolaire de 1931 où aucune concession n’est faite aux « downtowners ». Ceci sera l’élément déclencheur de l’ouverture d’écoles privées.
En 1962, la communauté juive contribue 74% des revenus de la commission scolaire protestante.
En 1965, on accorde à la communauté juive cinq postes de commissaires.
1972 – Création de la première école juive francophone pour la communauté séfarade : l’École Maïmonide.
1973 – Création des élections scolaires aux suffrages universels
1998 – Déconfessionnalisation des commissions scolaires au Québec
Sun Youth (Jeunesse au soleil) ancienne école Byron Bing de la commission scolaire protestante (1921 à 1982). Située au 4251 Saint-Urbain cette école a été fréquentée par Mordicai Richler.
École Byron Bing
La scolarisation va permettre à la communauté de quitter les emplois peu rémunérateurs.
Suite à une grève à l’Hôpital Notre-Dame contre l’embauche du docteur Samuel Rabinovitch, l’Hôpital Juif de Montréal est créé en 1934. Derrière l’ouverture de l’Hôpital Juif, il y a l’œuvre de Toba Kaplan qui amasse depuis les années 1910 en faisait du porte-à-porte la somme de 1 270 139.00$. À coups de 5, 10 et 25 cennes!
Toba Kaplan
Le Bund fonde le « Arbeter Ring » (Cercle des travailleurs) sur le boulevard Saint-Laurent. La communauté juive sera à l’avant-scène du militantisme de gauche dans les syndicats industriel.
Le « Arbeter Ring » était situé au 4848 Saint-Laurent dans un édifice érigé en 1920 qui devint la salle de spectacle « Sala Rossa ».
Une des militantes les plus connues et influentes fut Léa Roback (1903 – 2000). Elle est née à Beauport. Elle ira étudier et vivre en Europe où elle verra la montée du fascisme. Cette trilingue reviendra vivre à Montréal où elle milite dans le mouvement ouvrier et syndical. Elle sera aussi l’organisatrice de Fred Rose.
Murale rendant hommage à Léa Roback sur la rue Saint-Dominique à l’angle de l’avenue Mont-Royal.
Elle se fait remarquer lors de la grève des midinettes où des ouvrières canadiennes-françaises et juives font front commun et sont solidaires!
Le docteur Max Seigler ouvre en 1933 une clinique à l’angle de l’avenue Mont-Royal et de la rue Henri-Julien en milieu canadien-français afin de desservir la population défavorisée du quartier, peu importe ses origines…plusieurs s’y opposeront.
Les Jeunesses Musicale du Canada et anciennement la clinique Seigler située au 305 avenue Mont-Royal Est.
1933 est l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. La communauté juive de Montréal organise un rassemblement au Forum le 6 avril pour protester contre la situation en Allemagne. Les lois raciales de Nuremberg sont votées en 1935. La « Nuit de cristal » se déroule lors de la nuit du 9 au 10 septembre 1938 où les violences s’abattent sur la population juive allemande et plusieurs commerces et synagogues de la communauté sont incendiés. Cet événement cause une hausse soudaine des demandes pour quitter l’Allemagne. Les démocraties occidentales restent indifférentes et on veut jouer la politique de l’apaisement face au régime hitlérien. L’odyssée et la tragédie du paquebot le « Saint-Louis » survient en mai 1939 où plus de 900 juifs allemands à bord sont refusés dans tous les ports d’Amérique. Le navire doit retourner à Hambourg en Allemagne.
Paquebot « Saint-Louis »
L’antisémitisme canadien et québécois n’est pas une sympathie pour le régime hitlérien. C’est un courant propre à l’Amérique : le « nativisme ». Ou l’on prône une immigration « compatible ». Devant la situation, le Congrès Juif Canadien qui avait cessé ses activités renaît en 1934 et sa mission sera d’aller à la rencontre des élites protestantes et catholiques.
Immigration juive au Canada en chiffres :
1900 à 1940 : 60 000
Période de la 2e Guerre mondiale : 4000 (!)
1945 à 1980 : 135 000
Propagande pour le recrutement au sein de la communauté juive au Canada
En 1942 et 1943, les rumeurs sur la Shoah se répandent. L’Occident répond qu’il faut gagner la guerre pour leur venir en aide.
Une délégation d’artistes yiddish soviétiques de passage à Montréal en septembre 1943
Réunion au Forum de Montréal
Fred Rose est élu aux élections partielles de 1944 et générales de 1945. Il est le premier élu communiste au fédérale. Léo Roback est parmi ses organisateurs.
La 2e Guerre mondiale et la Shaoh ont éradiqués le monde yiddish en Europe. Le centre démographique yiddish est maintenant en Amérique. 40 000 survivants de la Shoah viennent au Canada dont parmi eux de grands écrivains et poètes. La communauté sur place aura de la difficulté à saisir l’ampleur de leur traumatisme.
La poète Rokhl Korn sur le Mont-Royal dans les années 1950.
L’après-guerre est également où les écrivains et les poètes yiddish commencent à passer à l’anglais. C’est le début du déclin de l’usage du yiddish.
Cette période est aussi l’émergence de peintres yiddish : Eric Goldberg, Bernard Mayman, Alexandre Bercovitch, Moe Reinblatt…
Les sympathies envers l’URSS disparaissent après la 2e Guerre mondiale. La défection du diplomate soviétique au Canada Igor Gouzenko en 1945 qui révéla que l’URSS espionnait ses alliés dont le Canada. Puis Staline débute une répression envers l’élite juive en fermant les centres culturels yiddish partout en URSS. Le 12 août 1952, Staline fait exécuter plusieurs écrivains et intellectuels juifs dans ce qui sera surnommé « La nuit des poètes assassinés ». Des médecins juifs sont exécutés en 1953 qu’on accuse d’avoir assassiné des hommes politiques et de comploter pour en éliminer d’autres dans ce qu’on surnommera « Le complot des blouses blanches ». Le militantisme de la communauté juive qui était alimenté par l’URSS se canalisera vers d’autres causes plus locales.
La création de l’État d’Israël en 1948 attire les sympathies de la communauté, mais très peu y migreront.
Les groupes religieux très pieux et orthodoxe ne se voient pas migrer au Nouveau Monde jusqu’à la tragédie du pogrom de 1946 de Kielce en Pologne…après la guerre. Où 42 juifs seront battus à mort.
Les juifs orthodoxes et hassidim vivent reclus et en autarcie en réponse à la misère dans laquelle ils vivaient. « Hassidim » signifie « pieux ». Ils refusent le modernisme et le sécularisme. À leur arrivée à Montréal, ils remplaceront les « downtowners » dans l’industrie de la confection et dans les petits commerces. Leur langue est le yiddish. Ce qui est paradoxal car les locuteurs yiddish d’avant-guerre étaient de mœurs libérales et séculières alors que ceux d’après-guerre sont très religieux. Les vêtements qu’ils portent sont typiques de la Pologne du 18e siècle. Ils s’établissent dans Outremont, Snowdon, Côte-des-Neiges, Boisbriand… Seulement les Loubavitch sont prosélytes chez les orthodoxes. Lors du mariage l’homme va s’installer dans la communauté de sa femme. Ainsi, plusieurs juifs orthodoxes ne proviennent pas de Montréal ou du Canada. Les garçons et les filles n’ont pas la même scolarisation : Les filles étudient des matières autres que la religion tandis que les garçons ne se consacrent que l’étude des textes sacrés. Au travers de leur parcours scolaire, ils apprennent quatre langues : anglais, français, hébreu et yiddish.
Il y avait 2000 hassidiques à Montréal en 1971. En 1981, on en compte 3000. Puis en 2000, ils sont 12 000. En 1991, l’âge moyen était de 15 ans. Un des taux de fécondité parmi les plus hauts en Amérique.
Le yiddish lors de l’après 2e guerre mondiale commence son déclin. En 1931, 96% des juifs au Canada a le yiddish comme langue maternelle (149 500 sur 155 770). En 2006, 4,5% seulement le parlaient (17 000 sur 373 000). On pointe vers trois causes : Assimilation à l’anglais; La disparition du foyer yiddish européen; Israël adopte l’hébreu comme langue officielle.
Le journal « Keneder Odler » cesse de publier au quotidien en 1963. Il est publié par la suite sporadiquement jusqu’à sa fermeture en 1988. Un des plus grands collaborateurs de ce journal était Jacob-Isaac Segal.
Les écrivains de la communauté passent à l’anglais comme Mordecai Richler, A.M. Klein, Irving Layton…
L’après-guerre est aussi le mouvement vers le nord (Snowdon). Les institutions de la communauté y déménagent : Hôpital juif, YMHA, Arbeter Ring, Congrès juif canadien, Bibliothèque publique juive, écoles (Peretz), synagogues…
L’anglicisation de la communauté à Montréal : en 1931, 99% parlent le yiddish et en 1951 le nombre tombe à 54%.
La population en nombre décline. Population juive à Montréal en 1961 : 100 000. 109 500 en 1971. En 2001, ils sont 93 000.
Les juifs maîtrisent la langue des affaires et les discriminations s’amoindrissent. Ainsi, c’est l’essor de certains hommes d’affaires : Sam Bronfman (Seagram), Sam Steinberg, Jacob Pascal (quincaillier)…
Le temps passe et plusieurs produits entrent dans les mœurs montréalaises, québécoises et canadiennes : le bagel, le smoke meat, les cornichons marinés…
La communauté juive sera bouleversée par l’arrivée des juifs séfarades.
L’indépendance du Maroc en 1956 est le début d’exode de la population juive vers la France et le Québec. Ils maîtrisent le français. En fait, le français est aussi important que leur religion dans leur identité. Ils seront méprisés par les ashkénazes qui proviennent d’Europe versus eux qui arrivent d’Afrique. La communauté juive d’accueil ne peut pas satisfaire ses besoins en éducation. Plusieurs enfants séfarades auront à fréquenter des écoles anglophones. C’est qui mène à la création d’écoles privées. En 1969, c’est l’ouverture et la création de l’École Maïmonide.
L’arrivée de la « Révolution Tranquille » au Québec aura un impact majeur. Dorénavant, le nationalisme n’est plus ethnique. La société d’accueil canadienne-française se définit davantage par la langue française. La place de l’Église recule et l’État se laïcise. L’éducation devient l’affaire de l’État.
Pour la population juive dorénavant maîtriser la langue des affaires ne suffit plus. L’arrivée des séfarades met en relief la méconnaissance du français.
La société d’accueil change et l’Église lors du Concile Vatican II, on prêche l’ouverture envers les autres confessions. Des acteurs politiques importants comme René Lévesque ont vu les horreurs de la guerre, il visita le camp de Dachau.
Néanmoins, les changements au sein de la société québécoise causent en exode au sein de la communauté anglophone dont de juifs vers l’ouest (Toronto). La communauté voit les lois linguistiques, l’arrivée du Parti Québécois et autres incertitudes politiques comme des facteurs l’incitant à se franciser pour sa préservation.
La loi sur langues officielles est instaurée en 1969.
En 1968-1969, l’Université de Montréal offre un programme en études juives. Les années 1970 verront le financement public d’institutions juives : écoles et l’Hôpital juif.
En 2011, 80% de la communauté juive âgée de 15 à 35 ans est bilingue et pratique le judaïsme. Après 1945, il s’agit de la communauté culturelle ayant le plus haut taux de diplomation.
La relation entre la communauté juive et canadienne-française compte beaucoup d’échecs mais il y a eu quelques « Rendez-vous réussis » :
Dora Wasserman (1919 – 2003) fonde le Théâtre Yiddish de Montréal en 1956. Elle réalise un projet avec le comédien Gratien Gélinas en 1949. Elle réalise une version des « Belles sœurs » avec la collaboration de son auteur Michel Tremblay en yiddish en 1992. Sa fille Bryna prendra la relève du théâtre où les pièces en yiddish sont avec sous-titres français et anglais! Leonard Cohen chante un classique du répertoire canadien-français : « Un canadien errant ».
Michel Tremblay et Dora Wasserman
Le Québec et Montréal aujourd’hui sans la contribution juive est impensable. La communauté a contribué et continue de contribuer à l’édification de la société québécoise. Juste à penser à…
Julius Grey
Jacob Pascal – Quincaillerie Pascal
Quincaillerie Pascal qui était située à l’angle Bleury et Saint-Antoine (Craig)
Leonard Cohen
Mordecai Richler
Kim Yaroshevkaya ou « Franfreluche »
Henry Morgentaler
Phyllis Lambert
Moshe Safdie
La réalisation phare de Safdie : Habitat 67
Chez Wilensky
Bagel Fairmount et Bagel Saint-Viateur
Références bibliographique:
- Histoire des Juifs du Québec par Pierre Anctil
-Les Sépharades du Québec - Parcours d'exils nord-africains sous la direction de Yolande Cohen
-À la découverte du Montréal Yiddish par Chantal Ringuet
-Les communautés juives de Montréal, histoire et enjeux contemporains par Pierre Anctil et Ira Robinson