Au temps des dompteurs de vent!

(Moulin de Pointe-aux-Trembles construit en 1713)

 

Au temps du régime seigneurial, le long de la rivière des Prairies se sont établis plusieurs noyaux villageois, et ceci des deux côtés des rives. On retrouvait des moulins et c’est en leur proximité que s’érigent plusieurs villages et hameaux. Grâce à eux, les habitants comblent trois besoins essentiels : se nourrir (moulin à farine), se loger (moulin à scie) et se vêtir (moulin à carder et fouler la laine). Les moulins comme les églises seront indispensables à la constitution d’une communauté. Explorons le monde des moulins et du métier de meunier.

 

(Moulin du Gros-Sault et Pascal Persilliez dit Lachapelle)

Il y avait des moulins : dans le parc Pointe-du-Moulin (Gouin est et 60e avenue) dans le quartier Rivière-des-Prairies, un moulin à vent est bâti en 1689 pour y faire farine sur la terre de Jean-Baptiste Sicard. Son fils Jean y sera meunier. Il est démoli en 1781; à la Berge du Vieux-Moulin (boulevard Lévesque Est et Montée du Moulin) dans le quartier Saint-François à Laval, un moulin à faire farine est construit en 1716. Il cesse de fonctionner au début du 20e siècle et suite à un incendie il est laissé à lui-même et disparaît avec le passage du temps. Il s’agit du premier moulin de l’île Jésus; En 1726, une digue est construite par Simon Sicard (fils de Jean Sicard) entre Montréal et l’île de la Visitation qui supportera une série de moulins qui desserviront les censitaires du Sault-au-Récollet; Toujours dans le Sault-au-Récollet, on construit le moulin du Gros-Sault dans l’actuel quartier Bordeaux en 1798. Précisément situé sur l’île Perry ce moulin est en opération jusqu’en 1892. Pascal Persilliez dit Lachapelle fils y sera meunier. La famille Lachapelle a géré  les moulins de l’île de la Visitation et d’autres sur le canal Lachine; Dans le quartier Laval-des-Rapides, dans le secteur qui faisait partie du village de Saint-Martin, on érige un moulin en 1772 : le Moulin du Gros-Sault. La confusion est possible avec son voisin en face  du même nom du côté montréalais! En 1804, il est reconstruit et renommé du Crochet il est démoli en 1929; Un moulin à eau pour y faire farine est mis en opération en 1773 sur l’Île Bizard sur l’ordre du seigneur Pierre Foretier. Ce moulin cesse ses activités en 1842.

Pour découvrir en détail l'emplacement de ces moulins lisez ma chronique "Moulins et meuniers de la rivière des Prairies"

 

Ils ne sont plus de notre quotidien, mais sans eux nos communautés seraient bien différentes.  Leur présence a été capitale dans l’histoire. Le meunier est un personnage très intéressant à découvrir et le meunier canadien aussi puisqu’il était bien différent de son confrère français. Lors de la période de colonisation française, peu sont ceux qui traversent l’Atlantique. Les métiers nécessitant  de grandes compétences étaient une rareté. Ainsi, les gens doivent compiler plus d’une compétence : le meunier d’ici doit en plus de faire farine, il sait construire un moulin. Il connaît la maçonnerie, la menuiserie, la charpenterie, la forge, etc. Il choisit s’il doit construire un moulin à vent ou à eau. Si c’est à eau, il doit ériger une digue pour harnacher le pouvoir de l’eau. Il aménage et installe une série d’engrenages, de rouages, de mécanismes, de courroies qui actionnent des outils grâce au vent ou à l’eau. Les meuniers d’ici étaient des petits ingénieurs! En France, le terme de farinier est plus courant pur décrire celui qui fait de la farine. C’est en raison de cette ingéniosité perpétuée sur plusieurs générations que nous pouvons faire notre chemin un peu plus facilement en hiver : Arthur Sicard qui est l’inventeur de la souffleuse à neige provient d’une famille qui a produit une longue lignée de meuniers. Cette famille a opéré ou/et construit plusieurs moulins dont à l’île de la Visitation, à Rivière des Prairies et à Pointe-aux-Trembles.

 

(Souffleuse à neige d’Arthur Sicard)

Le moulin au Canada coûte plus cher à construire et à entretenir. Les meules sont importées de France car celles fabriquées produisent une farine de pauvre qualité. L’importation de ces meules coûte cher. Puis les rigueurs de l’hiver causent plusieurs bris aux moulins. La digue du moulin de Saint-François a été emportée par les glaces très souvent et le mettant hors de fonction. Le meunier doit aller parfois sur la glace munit d’une hache pour protéger la digue et la roue à aubes.

Incidemment, les frais d’usage d’un moulin pour les habitants sont beaucoup plus élevés ici qu’en France. Le meunier canadien garde le 1/14 de la mouture tandis qu’en France c’est le 1/26.

Cependant certaines réalités sont les mêmes ici ou en France. Le meunier doit obligatoirement prendre un apprenti pour l’assister et assurer la relève. Le meunier doit le vêtir, le loger, le nourrir et s’assurer qu’il est instruit en matière de la foi. Comme les Sicard, l’apprenti est souvent l’un des fils du meunier.

(Maison du Meunier – Site des Moulins de l’île de la Visitation)

Le colon doit s’acquitter de ses taxes envers le seigneur en utilisant le moulin de la seigneurie. Il peut aller faire moudre son blé ailleurs si le meunier, représentant du seigneur, ne s’est pas acquitté de son obligation de moudre à l’intérieur d’un délai de 48 heures. Le meunier qui opère un moulin à vent doit ainsi travailler tout aussi longtemps qu’il y est du vent. Il travaille parfois plusieurs heures et journées consécutives sans répit. À un point, qu’il perd la notion de quel jour il est! Son seul référant est le levé et le coucher du soleil. Il arrive qu’il travaille sans avoir dormi depuis une longue période de temps. Cette réalité est illustrée par la fameuse chanson « Meunier, tu dors… ». Les accidents peuvent survenir. D’ailleurs, un moulin où s’est tué un meunier est nommé « un moulin rouge ». L’un des dangers est les pâles d’un moulin à vent qui peuvent frapper le meunier lors qu’il sort de son moulin. Le moulin à vent est conçu en deux sections : une première qui est en forme conique en maçonnerie et la seconde qui est un toit calotte qui pivote pour diriger les pâles face au vent. C’est pour cette raison qu’on retrouve toujours deux portes dans un moulin à vent. Si l’une est bloquée par les pâles, on emprunte l’autre.

Le moulin à vent coûte moins cher à construire puisqu’il n’y pas de digue à construire. Cependant, il est moins constant puisqu’il n’y a pas toujours du vent. Sa forme conique sert aussi d’ouvrage défensif lors de la période d’hostilité avec les Iroquois. Le moulin à eau possède une digue qui comprend un ou plusieurs canaux (entrée d’eau). Chaque canal est destiné à alimenter un moulin construit juste à côté. Le site des moulins de l’île de la Visitation et celui du moulin du Crochet possédaient des digues soutenant une série de plusieurs moulins. Ils s’agissaient de complexes de moulins. Ces ouvrages étaient exceptionnels à leur époque. Le meunier de l’île de la Visitation, Didier Joubert a été engagé pour les travaux de reconstruction au moulin du Crochet en 1804.

(Moulin du Crochet vers 1895)

L’emplacement pour la construction d’un moulin est primordial. Le moulin à vent se retrouve sur une butte et celui à eau près d’un cours d’eau possédant un débit approprié. Nous ne savons toujours pas aujourd’hui en 2017 l’emplacement précis du moulin de Rivière-des-Prairies dans le parc Pointe-du-Moulin. Une étude de la firme Arkéos mentionne que la seule butte que l’on retrouve dans la partie ouest de ce parc est probablement son emplacement. Certains lieux ont été désignés et réservés pour éventuellement construire des moulins comme ceux de Saint-François et du Crochet sur l’île Jésus. Dans le cas du moulin du Gros-Sault, on a exproprié et compensé des habitants.

Plus onéreux à construire, les moulins à eau sont souvent construits par des seigneurs qui ont les reins financiers solides : les communautés religieuses.  La plupart des moulins à l’époque de la Nouvelle-France  sont construits après la Grande Paix de 1701. Cette période de paix voit la colonie se développer et les noyaux villageois se forment hors des lieux fortifiés. Ces moulins doivent être construits par le seigneur puisqu’étant une de ses obligations envers les habitants de sa seigneurie. Il a un délai d’un an pour construire un moulin à partir du moment où il est acquéreur des lieux. Au-delà d’un an, un particulier peut en construire un. Les habitants doivent aller au moulin du seigneur et il était interdit au meunier d’aller faire du maraudage dans les seigneuries voisines. En 1830, le meunier Pascal Persilliez dit Lachapelle fils qui opère le moulin de l’île Perry fait placarder sur l’île Jésus une affiche imprimée chez l'imprimeur Ludger Duvernay invitant les habitants des lieux à emprunter sa traverse pour se rendre à son moulin. Maraudage!

 

Le moulin est un lieu de rencontre. Après la récolte du blé, les paysans s’y rendent.  La scène de voir des gens attendre pour faire moudre leur grain au moulin est très commune à l’époque du régime seigneurial. Le comportement et les mœurs de ces gens sont codifiés! On y interdit les jeux de hasard (cartes et dés) ou autres jeux de gageures et l’alcool. Si on traduit avec le recul du temps, s’il y a des règles pareilles c’est qu’il y avait des jeux de gageures et de l’alcool! Les femmes n’y sont pas admises à l’exception que si la différence d’âge entre le meunier et la femme  soit si grande que les soupçons de mauvaises mœurs soient dissipés. La chanson « Diguedin » des Charbonniers de l’enfer  y fait subtilement référence.

Le futur meunier entre en apprentissage vers l’âge de 12 ans auprès d’un maître meunier. S’il est suffisamment assidu vers l’âge de 20 ans, il peut signer des contrats à titre d’employé d’un meunier. Vers la fin vingtaine et début trentaine, il devient un artisan autonome. Il se retire du métier quand la force le quitte. Le meunier qui œuvre à faire de la farine est souvent en train de se frotter les yeux et accablé de problèmes respiratoires puisqu’à l’intérieur de son moulin, il y a constamment de la farine en suspension dans l’air.

(Moulin de Saint-François au début du 20e siècle)

Le meunier est l’intermédiaire entre le seigneur et les censitaires. Position qui peut être parfois difficile pour le meunier. Un moulin qui produit une farine de mauvaise qualité allait mécontenter les habitants qui vont s’en prendre au meunier. Mais à qui la faute ? Les contrats entre meunier et seigneur  qui ont été de courte durée laissent croire que le travail du meunier était de mauvaise qualité. Cependant, les seigneurs n’ont pas toujours offert aux meuniers le nécessaire à l’entretien du moulin et de ses meules. Des seigneurs ont détourné l’attention et laissé la population s’en prendre au meunier. Il y avait aussi de mauvais seigneurs.

(Moulin du Crochet)

Il existe trois types de contrats entre le meunier et le seigneur. Habituellement, la première entente est pour une courte période de trois ans afin d’évaluer le meunier. Ensuite, il y a  des contrats de 99 ans ou sur la durée de la vie du meunier. Dans ces deux cas, ce type de contrats implique une transmission à un héritier de la famille du meunier. D’ailleurs, les moulins les plus productifs sont entre les mains de certaines familles comme les Lachapelle et les Sicard. Les seigneurs préfèrent s’attacher les meuniers possédant une bonne feuille de route et une bonne réputation.

Apprenti recherché! Vous êtes prêts ?

 

 

 

Bibliographie

« Le Grain, La Meule et les ventes - Le métier de meunier en Nouvelle-France » de Dominique Laperle; 2003.

« Moulins et meunier du Bas-Lachine » de Denis Gravel; 1995.

« Le Moulin du Gros-Sault » de Robert Prévost; 1939.

« Le Site des Moulins – Parc Nature de l’île de la Visitation – Guide d’interprétation » de Denis Vézina pour la Communauté Urbaine de Montréal (CUM); 1998.

 

Novembre 2017